Tout part d’une énigme qui étonne les historiens et enchante les touristes : pourquoi tant de châteaux en Périgord ? Certes les régions voisines n’en sont pas dépourvues, mais leur richesse ne saurait se mesurer à celle du Périgord. Cette énigme est d’abord numérique : ces châteaux-combien sont-ils exactement ? La légende penche pour le chiffre de 1000 voire de 1001 !
La réalité est inférieure à la moitié. Ce n’est déjà pas si mal pour délimiter un territoire d’investigations et d’exploration. Laurent Bolard en a fait son terrain de recherches et d’études en se consacrant aux châteaux construits, restaurés, remaniés dans la longue période charnière (1450-1610où le Périgord quitte le Moyen Âge pour la Modernité en passant par une Renaissance venue tout aussi bien d’Italie que des châteaux des bords de Loire où séjourne la Cour
La démarche de l’auteur est celle d’’un historien de l’art qui préfère faire confiance aux messages de la pierre qu’à ceux du tourbillon des événements d’une époque tourmentée. Subtilement, son plan s’ordonne autour d’un acteur unique: le château. Élégante façon de ramener à l’unité la multitude des châteaux périgourdins et de surmonter l’obstacle de leur diversité. Car tous sont différents puisqu’ils résultent d’héritages qui n’ont rien de commun entre eux : ni les goûts, ni les moyens de leurs bâtisseurs, ni le site, ni le décor où ils sont implantés. À coup sûr, la gestation des châteaux périgourdins est l’étape la plus mal connue et la plus difficile à élucider. Laurent Bolard en est bien conscient lorsqu’il se penche sur l’histoire des familles de la noblesse périgourdine, grosses de châteaux qui mettront plusieurs générations à naître et à grandir. Mais la noblesse de ce temps ne saurait s’inscrire dans la pérennité. Trop de menaces pèsent sur les lignages pour qu’ils aient l’espérance de mener à bien une œuvre de pierre sans se soucier des contingences matérielles. Seules les grandes familles qui fréquentent la Cour peuvent miser sur la durée.(…)
C’est dans la conjonction de sa fonction stratégique et de sa vocation artistique que se situe le rôle de représentation du château. Laurent Bolard insiste avec raison sur l’insécurité et la violence en Périgord durant toute la période où se succèdent les soubresauts consécutifs à la guerre de Cent Ans, les révoltes contre la fiscalité royale et le temps des « troubles» ou « guerres civiles » que nous appelons guerres de Religion. L’obligation de se défendre et de résister est d’ autant plus impérative pour les châteaux qu’ils subissent alors la menace des funestes progrès de l’artillerie. Leurs fortifications ne sont jamais inutiles et elles ont, en plus, l’avantage d’exalter leur supériorité à l’égard du village tout proche qui se presse souvent à leur pied. Ainsi s’exprime la domination des maîtres des lieux vis-à-vis de leurs tenanciers. C’est cette ambition, renouvelée à travers siècles les siècles que la Révolution anéantira en vouant à la destruction les emblèmes de la « féodalité ». En attendant, à l’abri des murs épais des châteaux périgourdins, s’épanouit un art de vivre nobiliaire inégalement réparti d’une demeure à l’autre. L’auteur en a relevé les marques religieuses et culturelles sans oublier la chasse, ce divertissement nécessaire de toute la noblesse. Le lecteur n’a plus qu’à se laisser guider pour mieux devenir le visiteur impatient qui ira à la découverte ou à la redécouverte des châteaux du Périgord. L’ouvrage est une invitation à ce voyage dans le temps.
Extrait de la préface d’Anne-Marie Cocula