À la fin du mois d’août 1987, en Provence, dans l’Atelier qu’il aimait, lui debout et moi à genoux sur les dalles parmi les feuillets, nous composions Éclats. Nous savons qu’il partira bientôt. Dans cette marqueterie attentive nous essayons de vivre le temps du soleil partagé. Pierre mourut le 7 novembre.
Comme les amours des grands-ducs rares sont ceux qui se rencontrent
Mais un seul cri fait s’envoler de sa forêt l’oiseau des nuits
vers un seul cri pareil au sien.
Ce fut son premier billet « d’Après ». Nous avions été si coutumiers de nous laisser des mots, des lettres, des messages, en sortant, en rentrant. Je me souviens que j’ai dû m’asseoir par terre pour le lire. J’ai su immédiatement qu’il y en aurait d’autres, et pendant longtemps je me suis interdit de toutes mes forces de tout retourner pour les chercher. Je sus que parce moyen-là il était revenu dans sa maison avec amour et posément, pour toujours.
Au cours d’une conversation, son ami Pierre Fanlac, y pressentant des textes qui pourraient être précieux à d’autres et pour sa mémoire, me demanda instamment de lui en confier quelques-uns et j’acceptai.
Grâce à lui, qui devait malheureusement disparaître à son tour, puis à sa fille Marie-Françoise et son mari Bernard Tardien, deux éditions à tirage limité parurent, selon le vœu de Pierre Fanlac qui voulait rendre cet hommage à son ami.
L’une fut illustrée d’une superbe gravure d’Antoni Clavé sous le titre de Poèmes pour après, l’autre, Eclats accompagnée, elle, d’une tout aussi superbe gravure de Zao Wou-Ki. L’édition courante dut, à mon immense regret, être remise à plus tard.
Plus tard, c’est aujourd’hui.
Et lorsqu’une si longue distance de temps – de temps qui nous échappe –, sépare ainsi des écrits du moment où ils peuvent paraître enfin – je crois qu’il faut y voir une raison venue de loin …
« Il est un temps pour tout sous le soleil », écrivait l’Ecclésiaste.
Un temps pour vivre et un temps pour mourir.
On peut tout en déduire à l’infini, et qu’il en est de même pour les livres, un temps pour passer, pour rester ou pour disparaître. Comme un pigeon voyageur venu des lointains, celui-ci vient, bagué d’une présence, se poser, avec ses mots, comme tout retour, il m’émeut… infiniment.
Extrait de la postface de Colette Seghers